Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 03 février 2016

RENCONTRE AVEC PASCAL DUBOIS, DIRECTEUR DES ÉDITIONS OUI DIRE

 

oui dire-Pascal Dubois.jpeg

         • à la fin de cet entretien la critique de Mildiou et la liste des titres de cet éditeur déjà chroniqués dans ce blog

Pascal Dubois qui êtes-vous ?

Je suis à l'initiative de la création de Oui dire. Comme dans toutes les petites maison d'éditions, je suis au four et au moulin, je fixe la ligne éditoriale, je travaille avec les artistes, je m'occupe de la distribution, de l’export…, des relations avec le milieu de l’édition.

Comment êtes-vous devenu éditeur de contes ?

L'aventure a commencé en 1997 à Grenoble, presque par accident. Je viens de la musique et à l'époque j'étais réalisateur en studio. Je travaillais sur le disque des dix ans du festival des arts du récit. Lors d'un enregistrement avec la conteuse Claudie Obin, j'ai eu véritable choc : je suis tombé sous le charme du récitClaudie Obin Mythologie 1.jpg dès sa première phrase et j'en suis ressorti vingt minutes plus tard sans plus savoir où j'étais, cela m’a interloqué. De fil en aiguille, Claudie est devenu mon chaperon dans le monde du conte et l'année suivante, elle était à la recherche d'un éditeur : c'est ainsi que sont nées les éditions Oui Dire avec les neuf récits de Claudie sur la mythologie Grecque.

La deuxième chance a été d'avoir deux ou trois articles dithyrambiques sur les récits de Claudie , notamment dans Citrouille et le Figaro. Sans aucune structure commerciale, on a alors vendu 15000 disques. Aujourd'hui nous en Claudie Obin Mythologie 2.jpgsommes au cinquième retirage.
Ce sont des titres phares des éditions. Ça a été à la fois une belle aventure humaine mais aussi une entreprise qui nous a servi de labo pour les productions suivantes.

 

 

 

Comment choisissez-vous les projets ?

Je passe beaucoup de temps à l'écoute de la scène actuelle. J'ai la chance de fréquenter un grand nombre de festivals de contes et d'assister à de nombreux spectacles. Ça me permet de me tenir au courant de l'actualité des uns et des autres et de découvrir de nouveaux conteurs. Comme tous les éditeurs, quand je me lance dans une production, c'est que ce projet m'émeut. Il peut s’agir d’une adaptation ou d’une création mais elle se doit d’être singulière et doit refléter la personnalité de l’auteur ou de l’interprète. Après, intervient la relation avec le ou les artistes : plus elle est fluide et consensuelle, plus le projet sera fort. Il faut aussi que ce futur projet s’intègre dans nos collections et qu’il fasse sens pour l’artiste. Avec sept huit production par an - dix les années très fastes - les éditions Oui’Dire n'ont malheureusement pas les moyens de faire toutes les productions qu'elles souhaiteraient.

 

En quoi consiste votre métier ?

Ce métier d'éditeur de contes, je l'ai découvert et appris en le faisant. C'est une chose de savoir faire un disque musical, c'en est une autre de savoir faire un disque de contes. Lorsque j’ai débuté, il n’y avait quasiment que des captations « live » de conteurs. Personnellement je trouve qu’elles ne fonctionnent que rarement : l’énergie de la voix de scène n’est pas adaptée aux écoutes discographiques, en petit comité. Ensuite, on sent parfois qu'il se passe beaucoup de chose hors micro, on entend les sourires, les inflexions, les silences… mais nous n’avons pas les clefs pour les comprendre, cela me gêne un peu. Quand un conteur raconte en studio, bien sûr qu’il s’agit des histoires qu’il a racontées très souvent sur scène, mais je pense que son intention, son « geste » doit être adapté à ce nouvel auditoire et à ses conditions d’écoute. Certains projets n'aboutissent pas parce que ce travail d'adaptation n'était tout simplement pas envisageable pour le conteur. C’est un choix très compréhensible.

 

 

Est-ce que c'est long de faire un disque ?

Ça peut l'être, surtout quand le projet initial évolue au fil de la production. Par exemple, pour Récits de vieJihad Darwiche - Récits de vie en temps de guerre.jpg en temps de guerre, nous sommes naturellement partis des versions de scène de Jihad, puis les séances de prise de son ont évoluées vers une sorte de résidence d'écriture pour aboutir aux enregistrements que l’on pensait finaux des voix. Pour la musique c'était une évidence pour nous que de travailler avec Abaji qui avait fait la musique de son précédent album, Les Mille et Une Nuits. Mais ces récits de JIHAD DARWICHE les 1001 nuits.jpgguerre sont malheureusement universels même si les faits relatés se passent au Liban et plus le projet avançait, plus il devenait évident pour moi qu'on ne devait pas choisir une musique trop typée (Abaji est libanais et se réclame de la tradition même si son style est vraiment contemporain dans l'écriture). J’ai proposé alors à Jihad de changer notre fusil d'épaule et de travailler avec le compositeur et pianiste, Henry Torgue. Avec ce choix d’instrument plus occidental notre intention était de « délocaliser » le récit. Jusque-là tout va bien. Sauf qu’après une journée d'improvisation et d’enregistrement avec Henry, je me retrouve non pas avec des petites pièces musicales mais avec des heures de captation, toutes faisant écho et sens vis-à-vis des récits. Je trouvais dommage de ne pas exploiter cette matière sensible. J’en ai informé Jihad et lui ai proposé un pré-montage voix et musique auquel il a répondu que la nouvelle version l’emballait mais qu’il lui fallait « réécrire » et que cela nécessiterait une nouvelle séance de voix… mais ce disque reste pour nous trois un moment magique.

 

Effectivement la musique occupe une place importante dans vos enregistrements...

Pour certains conteurs, la musique va de soi : la composition ou l’instrument fait partie de la dynamique du conte et s'intègre naturellement au récit. C'est par exemple le cas de Catherine Zarcate qui s'accompagne à la tempura ou Michel Hindenoch. Dans nos enregistrements, la musique s'est imposée petit à petit. Au début elle intervenait assez peu : en tête de chapitre ou à la fin de l'histoire pour en faciliter l’écoute. C’était en quelque sorte notre mise en page mais cela évolue de projet en projet. Aujourd'hui dans 60 % des projets que l'on reçoit, il y a de la musique, le plus souvent conçue en amont (avec plus ou moins de bonheur). Pour nos trois dernières productions, la musique a une place très importante : Dans Le Mahâbhârata de CécileCécile Hurbault - Le Mahâbhârata.jpg Hurbault, un projet issus du théâtre d’ombre dans la pure tradition indonésienne il intervient un gamelan : un orchestre traditionnel rassemblant des métallophones, des percussions, des gongs, des instruments doux comme la flûte ou la cithare, des chanteurs et des chanteuses. Gérard Potier pour Mildiou a fait la création avec l'accordéoniste Gérard Baraton et pour Au lit ! de Gilles Bizouerne ; il s'agit là d'une écriture à trois voix avec un conteur et deux musiciennes.

 

 

Quel est votre public ? Avez-vous des retours de ceux qui achètent vos CD ?

Nous pourrions diviser notre public en deux catégories : Les fans de contes qui ont une écoute extrêmement exigeante. On les rencontre surtout lors des festivals et nos échanges avec eux concernent aussi bien le répertoire que la mise en son ou en musique. Et le grand public croisés en ce qui nous concerne durant les salons du livre : là c’est plus simple : Ça leur plaît, ils achètent ; ça ne leur plaît pas, ils n'achètent pas. La meilleure façon de les convaincre est de les mettre en contact direct avec le savoir-faire des conteurs en leur faisant écouter nos productions. C’est la seule chose qui puisse faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Mais ceux qui ont vraiment le contact avec les acheteurs, ce sont les libraires. Pour les plus passionnés d’entre eux, ils sont capables de raconter tout ce qu'il y a dans un disque. C'est époustouflant. Ils me surprennent toujours.

 

Et les enfants ?

Ce public-là c’est la même chose sur un salon du livre où en librairie en famille. Quand un enfant est sensible à l'audio, ça peut l’emmener très très loin (à tel point que j'ai dû cesser de leur faire écouter des histoires complètes sur les salons car ils étaient scotchés aux casques et les suivants s'impatientaient). En général ils commencent par écouter un extrait et après ils vont chercher leurs parents pour acheter le CD.

 

Qu'est-ce qui se vend le mieux ?

Les grands récits et les contes pour la jeunesse et même, plus précisément les disques qui s'adressent à la petite enfance. De ma part, faire des disques pour les adultes est un choix déraisonnable au niveau économique, mais indispensable artistiquement parlant. Je ne veux pas limiter la ligne éditoriale à l'enfance et à la jeunesse : j'aurais l'impression de faire la moitié de mon boulot. Sans doute une tare liée au fait que j'ai moi-même découvert le monde du conte étant adulte.

 

Pouvez-vous nous présenter vos collections ?

Contes d'auteurs : c'est la première collection du label. Elle accompagne les conteurs de la scène actuelle quel que soit leur répertoire (adaptations ou des créations originales). C'est la collection historique du label, celle avec laquelle on a commencé.

 

La puce à l'oreille : c'est une collection plus spécialement destinée à la jeunesse qui regroupe autour d’un même thème, plusieurs voix aux caractères résolument différents : l'hiver, les sorcières, les ogres, les monstres... C'est une collection très difficile à mettre en place parce qu'il faut agencer les histoires entre elles. Lorsqu'un artiste fait un spectacle, il veille à varier les motifs et les ressorts dramatiques, mais là ils ne savent pas (et souvent moi non plus) ce que les autres vont proposer ; l'agencement de ces histoires devient alors très complexe. Généralement j'enregistre deux fois plus de matière que je n'en garderai à la fin. Finalement, nous sortons assez peu de titres dans cette collection parce que c'est un énorme travail, mais c'est un bon outil pour les libraires qui veulent faire connaître l'oralité à leur public. D'ailleurs, les CD de cette collection ont été souvent sélectionnés par la Joie par les livres, la commission d'écoute de disques pour enfants de la ville de Paris et autres instances comme l'Académie Charles Cros.

 

Contes croisés. Tout a commencé un peu par accident par une réflexion de Jihad Darwiche, qui était à l'époque directeur artistique du Festival des Alpes maritimes. Il m'a dit: "C'est quand même dommage : on fait tout un travail de résidence pour la soirée finale où on réunit tous les conteurs du festival et après il n'en reste aucune trace." Ça a été le début de cette collection. Au départ, je l’imaginais plutôt pour le milieu professionnel, mais finalement elle touche un public beaucoup plus large que celui des fans de contes habituels : je ne m'y attendais pas du tout. Contes croisés permet aussi de faire connaître de nouveaux noms et de faire apparaître des artistes qui ne sont pas encore mûrs pour faire un album entier.

 

Rumeurs rebelles. Cette collection est née en 2009 d'un partenariat avec l'éditeur québécois Planète Rebelle. Oui’Dire est chargé de faire connaître les artistes québécois de ce côté-ci de l’Atlantique et Planète rebelle fait la réciproque au Québec. Il y a un titre en gestation pour une sortie en 2016. « L’odyssée du Sergent Recruteur », par Jean-Marc Massie, François Lavallée et André Lemelin.

 

A la marge : on y met toutes les projets pour lesquels on a un vrai coup de cœur mais qu'on n'arrive pas à caser dans les autres collections : Renseignements généraux de Serge Valetti, Virelangues, de Béatrice Maillet.

 

A priori, nous allons étoffer notre catalogue d’une nouvelle collection qui regroupera La Retirada de Suzanne Azquinezer, Place Tahrir de Jihad Darwiche (des récits de femmes lors de la révolution du Printemps arabe en Egypte) et Peau d’âme de Gigi Bigot. Ces albums, souvent des récits de vie méritent une place à part et je suis heureux d’accompagner les conteurs sur ces thématiques.

 

Pourquoi faire encore des CD à une époque où tout le monde fait du livre CD ou se lance dans le numérique ?

Je ne veux pas abandonner un support qui pour l'instant me donne entière satisfaction. Dans 10 ans, le CD n'existera peut-être plus, mais l'histoire enregistrée sera toujours là et c'est ça qui m'intéresse. En fait c'est un choix éditorial qui permet de focaliser mon énergie sur un seul support. Par ailleurs même s’il y a une forte demande de la part des libraires concernant les livres disques-CD, il nous faudrait en avoir les compétences. Vu qu'on se focalise sur le disque seul, on peut réaliser des projets beaucoup plus ambitieux et passer plus de temps sur les productions. Le Mahâbhârata a nécessité 15 jours de prise de son et au final 30 jours de studio. Il n'y a aucun éditeur de livres CD qui puisse se permettre cela. Il faut être dans une logique de producteur phonographique pour envisager de faire de telles productions. Et puis, il nous arrive parfois de réaliser des scores de vente que nous envieraient nos camarades du livre.

 

Vous êtes nombreux sur le marché du conte enregistré ?

Je pense que l’on peut se compter sur les doigts des deux mains : Planète rebelle, Didier jeunesse, Syros pour les principaux puis Gallimard, Frémeaux, Le jardin des mots, De vives voies, Naïve… j’en oublie… Par contre Oui’Dire est quasiment le seul à proposer des enregistrements au plus près de l’art du conteur, sans texte lu.

 

Quelles seront vos prochaines publications ?

Redondaine de Gigi Bigot à destination des petites oreilles (et pour que l’exception confirme la règle, la prise de son a été réalisée en public. Gigi désirant jouer avec les réactions des enfants). Sortie prévue le premier semestre. Au programme aussi le deuxième album de François Vincent : Le dattier du sultan de Zanzibar qui devrait sortir en juillet. Des Contes d'Écosse avec Fiona MacLeod dont l'enregistrement a été retardé par une malencontreuse chute de cheval. Arthur, le roi et Merlin, l’enchanteur de Claudie Obin, dont la première maquette a été faite il y a sept ans, Le miroir et le coquelicot de Guy Prunier et Marion Cordier et peut-être un album autour des 20 ans du festival des Grandes gueules, à Trois Pistoles au Québec.

 

Le mot de la fin ?

Je pense que les artistes comme les producteurs et les éditeurs font un métier à la fois beau, utile, nécessaire et que la littérature orale, et le conte en particulier, ont encore beaucoup chose à nous dire. (Et si vous avez un instant, je vous invite à découvrir le travail de Suzy Platiel. http://videotheque.cnrs.fr/doc=4095)

 

 

 

 

Gérard Potier - Mildiou.jpg

 

Gérard Potier : Mildiou
Musique de Gérard Baraton

Oui'Dire, collection Contes d'auteurs,
CD 17,00 € (65 minutes)

Paru le 25 octobre 2015

Mildiou est laid, Mildiou est gros, Mildiou déçoit son père parce qu'il le trouve trop sensible et sa mère parce qu'elle aurait préféré une fille ; quant au frère aîné, il semble occuper toute la place au sein de la famille. Mildiou, ainsi nommé parce qu'il a été conçu dans un champ de pommes de terre finira par trouver la sienne.. Cette quête d'identité oscille entre le fantastique d'un monde parallèle et le réalisme cru du monde rural - un univers que connaît bien Gerard Potier qui a passé toute son enfance dans une ferme à la campagne. Dans cette histoire forte, l'humour n'est jamais absent : quand Mildiou trouve enfin la porte de sortie dans la paroi du puits où il est enfermé une petite pancarte est accrochée : prière de refermer à cause des courants d'air. Tour à tour haletant, malicieux, festif, l'accordéon virtuose de Gérard Baraton, illustre, ponctue, relaie le récit précis et rythmé du conteur.

A partir de 8 ans

 

Chroniqué dans ce blog :

 

Dans la collection Contes d'auteurs :

Armelle et Peppo Audigane : Le mariage d'Atyek. Juin 2014

Gigi Bigot : Croqu'en bouille. Juillet 2013

Gilles Bizouerne : Au lit ! Octobre 2015Gilles Bizouerne - Au lit !.jpg

Muriel Bloch : Dans le ventre d'Anansi. Mai 2015

Elisabeth Calandry : La danse des pois et autres histoires fantastiques de Bretagne. Juillet 2012

Francoise Diep : Histoires en herbe. Août 2015

cile Hurbault : Le Mahâbhârata. Décembre 2015

Gérard Potier : Mildiou. Janvier 2016

Catherine Zarcate : Salomon et la reine de Saba. Février 2011

François Vincent : La véritable histoire du haricot magique. Mars 2011

 

Dans la collection La puce à l'oreille :

Contes d'hiver et de Noël. Décembre 2012

Contes traditionnels du Québec. Avril 2015

Histoires insolites (Contes d'auteurs) Mars 2011

Monstres et animaux fantastiques. Juillet 2012

Secrets et autres mystères Juillet 2012

 

Dans la collection Contes croisés :

Au plus près des étoiles. Juillet 2012

Des nouvelles de Suisse. Avril 2015

Nuits du contes à Montréal. Février 2014

Palabrages en terre gersoise. Octobre 2015

 

Dans la collection Rumeurs rebelles :

Simon Gauthier : Sources. Juillet 2012

 

Dans la collection À la marge

Béatrice Maillet : Virelangues. Avril 2015