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lundi, 14 mai 2012

Coup de projecteur sur …

 

  … Luce Dauthier, interprète de l'AB CD des berceuses  

 

Mon AB CD des berceuses copie.png

Luce Dauthier : Mon AB CD des berceuses.
Sélection des titres par Françoise Tenier, album illustré par Johanna Boillat et Elodie Nouhen

Gründ, collection Mon AB CD, livre CD

parution avril 2012

Après les comptines, les bruits, les chansons traditionnelles, la collection ABCD (ed.Gründ) consacre son dernier volume aux berceuses. Pour ne rien vous cacher, c'est moi qui ai assuré la sélection et les notes finales , il serait donc malvenu de ma part d'émettre un avis critique sur cet ensemble livre-CD. Je laisse donc la parole à Luce Dauthier qui assure l'interprétation du disque

Pourquoi un disque de berceuses ?

Les éditions Gründ m'ont demandé de faire ce disque, pour le quatrième volume de cette nouvelle collection de livres-CD.

Pourquoi avoir accepté ?

Il y a plusieurs années, j'ai fait un spectacle pour les tout-petits qui s'appelait Les Petites musiques de soie et parlait du moment du coucher. A la suite, j'ai eu envie de faire un disque de berceuses du monde et j'ai même commencé à faire des recherches. J'ai demandé l'avis de Anne Bustarret ; elle m'a dit : « non Luce, il faut que tu arrêtes de faire de la berceuse, provisoirement » ; c'était juste, j'ai donc à nouveau fait du spectacle pour adultes, et j'ai oublié les berceuses. Et voilà cette proposition qui m'arrive vingt ans plus tard !

Il y a quelque chose qui fait que je me sens bien avec la berceuse. Quand on parlait de mes concerts pour adultes les journaux disaient qu'on voyais briller sous la douceur de longues incisives. Et l'univers de la berceuse, ce n'est pas tout tendre, même s'il y a un emballage très tendre. On chante d'une voix douce, pour apaiser quelqu'un. La musique aussi est douce (même si elle est parfois riche) alors que dans les textes, souvent, on voit les longues incisives de la vie briller dans le noir.

Ce disque s'inscrit donc dans une continuité ?

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Oui j'ai beaucoup travaillé pour le tout jeune public. Encore maintenant j'ai un spectacle pour les 3-6 ans : Mon petit silence. Il y a deux personnages : Nini et son petit silence intérieur. Je vais le jouer en septembre, octobre et novembre à Paris au théâtre Aktéon.

 

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Ce spectacle va faire l'objet un disque ?

 

 

On y a pensé, mais ce serait un disque raconté avec les bruitages en illustration. De toutes façons, ça ne peut pas faire l'objet d'un disque de chansons comme je fais d'habitude.

 

Et le choix des berceuses ?

Toutes les berceuses du livre étaient déjà choisies, mais comme on procédait par ordre alphabétique, pour certaines lettres il me restait un choix. Les propositions m'ont plu, certaines par leur côté ludique ou particulièrement doux, d'autres par leur aspect dramatique et parce que j'ai pu m'y investir entièrement en tant qu'adulte.

Par exemple ?

Par exemple La berceuse du violoneux de Botrel. C'est un homme qui joue du violon dans les bals. Il berce son petit-fils pendant que son fils (veuf et violoniste lui aussi) est parti gagner sa vie. C'est une situation très triste et dramatique (mais pleine d'amour, parce qu'on berce toujours quelqu'un qu'on aime).

C'est pareil pour Les chemins creux de la lande. Là, ce n'est pas un veuf, c'est une veuve (décidément ce n'est pas forcément joyeux, la berceuse). Là encore, la situation est dramatique ; c'est une famille terre neuva. Le père est parti et il est mort, les fils sont au loin et on ne sait pas quand ils vont revenir – ou même s'ils vont revenir. Et la mère qui berce son enfant sait bien que plus tard le petit deviendra terre-neuva parce que c'est sa destinée. C'est comme dans Duerme negrito : on croit que c'est une petite berceuse très gentille, mais en fait, elle évoque une situation assez terrible. Quand on chante ces histoires-là, on peut s'investir en tant qu'adulte.

Un autre élément qu'on peut qualifier de « dramatique » et qu'on retrouve très souvent dans les berceuses : la menace de punition si l'on ne consent pas à dormir, donc l'impatience de celui qui endort, et cela évoque la difficulté, la peur, même, du sommeil.

Même dans les textes très joyeux, drôles, il y a cet élément. Dans Lepetit quinquin, par exemple. La mère dit à son enfant beaucoup de choses gentilles : elle lui promet d'aller au parc, d'aller voir les marionnettes, de lui donner du sirop, etc, plein de cadeaux, un avenir formidable... Dors, mon petit chéri, on fera tout ça demain et ce sera merveilleux. Mais au sixième couplet il ne dort toujours pas, il recule le moment. Alors, finalement elle lui promet de le punir au martinet, et ça marche ! Au dernier couplet, menacé du martinet, il s'endort enfin.

Dans Fais dodo, mon petit Pierrot, c'est un peu la même chose (je te donnerai ci, je te ferai ça, la vie sera belle), mais ça finit comme ça : si ne dors pas, le papa te battrait bientôt.

De nos jours bien sûr, le martinet n'est pas là, mais ce qui ne change pas, c'est qu'on a besoin parfois d'une certaine dose d'autorité pour dire « c'est le moment de dormir, maintenant !

Dans le disque j'ai essayé d'évoquer cette réalité avec humour.

Il n'y a pas que des textes dramatiques dans ce disque ?

Non bien sûr, il y a aussi beaucoup de mots doux, un petit grain d'or, plein d'histoires de poulette qui pond des œufs de toutes les couleurs, de jeune fille qui danse avant de s'écrouler de sommeil, une poupée, des étoiles, des chatons, tout un petit monde à qui on fait des promesses de rêves merveilleux. Et puis les deux chansons que j’ai écrites sur les échanges et les joies à l'instant du coucher. Mon petit air de xylophone : le plaisir du rituel et Zut, un jeu d'onomatopées, dialogue entre le « zut » (je ne veux pas aller me coucher) de l'enfant et le « chut » (mais si tu vas te coucher) de la maman.

Y en-a-il une que vous préférez ?

Il y en a plusieurs, mais elles ont toute leur intérêt. Interpréter Duerme negrito, c'est un fantasme de chanteuse, heureuse de marcher sur les traces d'Atahualpa Yupanqui. J'ai trouvé du plaisir dans chacune des berceuses. Au début, il y avait des titres qui m'inspiraient moyennement et auxquelles j'ai fini par beaucoup m'attacher : Le violoneux, par exemple. Et j'ai tout de suite adoré les berceuses anglo-saxonnes.

Celle qu'on emporte sur une île déserte ?

Peut-être la première (La berceuse des grandes Antilles). C'est la plus ensoleillée, par son arrangement notamment, et c'est peut-être aussi celle que je chante le mieux, je la fais écouter avec plaisir. Après avoir enregistré toutes les voix, on s'est donné un jour de studio supplémentaire. Les musiciens et le preneur de son m'ont demandé si je voulais en refaire une et j'ai choisi cette berceuse antillaise. Quand je suis sortie de la cabine d'enregistrement, Stéphane (c'est l'arrangeur) m'a dit : bravo, Mme Henriette Salvador!

Justement vous pouvez m'en dire plus sur l'équipe du disque ?

Pour faire le disque, j'ai d'abord choisi Stéphane Dumont, mon partenaire de quinze ans, pianiste et arrangeur de mon atelier chanson. On a une grande complicité, depuis longtemps on cherche ensemble des arrangements pour nos spectacles, d'atelier et autres (spectacle « Drôles de miroirs ». Pour le disque on a conçu les arrangements ensemble. Ensuite, il a écrit les voix (il y a des chansons à deux, trois, quatre voix). Il a assuré aussi la direction musicale (Le grand point fort de Stéphane c'est son oreille, et aussi son écriture à trois ou quatre voix, il est réputé pour ces deux choses). J'ai aussi fait appel à un guitariste-chanteur : Olivier Harasse, avec qui je joue par ailleurs Berceuses à Granville.jpgmon spectacle pour adultes, et qui a de son côté créé un bal pour enfants. Et puis on a engagé un percussionniste qui est aussi un homme de studio : Marc Camus. Il joue en général avec Alain Stivell et il a vraiment fait quelque chose de fin, comme on lui a demandé, il a même dépassé nos attentes. On a eu la chance que le preneur de son, Christian Canonville, soit aussi violoncelliste. Il a un joli son et lui aussi a une oreille extraordinaire. C'est un ingénieur du son dans le cinéma (j'avais déjà travaillé avec lui pour la bande-son de bruitages pour Mon petit silence). Stéphane et lui étaient complémentaires.Tous ces musiciens sont des gens qui apprécient et recherchent la perfection technique bien sûr, mais sont toujours à la recherche de sens et d'émotion, c'est DSC_0008.jpgDSC_0009.jpg

ce qui a fait certainement que je les ai choisis.

[Les photos ont été faites le 12 mai 2012 à la librairie "Le Détour", rue des Juifs à Granville (50); les musiciens ont fait le "boeuf" à l'occasion d'une séance de signature]

Ces arrangements ne sont pas toujours très classiques. On pense que la berceuse, c'est forcément lent, voire mou...

On avait une grosse contrainte avec le nombre de titres. On peut en faire douze en restant tout le temps dans la douceur, mais ça ne marcherait pas avec 26. J'ai écouté le précédent disque de la collection Mon ABCD des chansons traditionnelles et j'ai trouvé que Fonfrède et Becker avaient fait un remarquable travail d'équilibre entre les morceaux. Mon premier souci, c'était donc de varier les rythmes, les tempos et les arrangements, et d'orienter les textes en les sortant un peu de leur contexte apparent, de les creuser. Pour les musiques, on a essayé de pousser chacune dans sa perspective propre et d'aller au bout de chaque logique, il fallait qu'on puisse écouter les 26 chansons du CD sans s'ennuyer. J'avais dit à Stéphane : on va bercer, mais pas endormir. C'était primordial. L'apport des percussions était parfait : elles bercent par leur côté répétitif et à la fois apportent énergie et gaîté. J'imaginais ce disque plus pour un moment d'écoute ensemble avant de se coucher, plutôt que pour le moment même de s'endormir, mais je pense qu'il peut aussi bercer jusqu'à l'endormissement, il n'y a rien dedans qui puisse faire sursauter un enfant en train de s'endormir, enfin j'espère !

Il y en a même une qui est parlée...

Mais ça, c'est par défaut : je ne parle pas l'arménien ! Je parle anglais, je parle espagnol. Je ne parle pas yiddish et pourtant j'ai enregistré Rozhinkès mit mandlen. C'est parce que je l'avais déjà chantée dans un spectacle, La chanson déchirée, où j'avais été dirigée par mon musicien de l'époque (Eddy Schaff) qui parlait yiddish. J'essaie toujours de me renseigner auprès des gens qui savent. Pour « Toutouig », j'ai téléphoné à la chanteuse bretonne Andréa Ar Gouil, qui m'a indiqué la bonne prononciation. Et pour le créole... En allant porter un dossier dans un lycée, j'ai vu que le concierge était antillais, alors j'ai sorti de mon sac à main le texte de Dodo, ti pitit' maman et je lui ai dit : voilà une berceuse antillaise que je dois chanter, vous pouvez me donner la bonne prononciation s'il vous plait ? Ce qu'il a fait.

Malheureusement je n'ai pas rencontré d'Arménien qui parle arménien. Je ne pouvais pas faire quelque chose de plaqué. J'ai besoin de comprendre ce que je dis. Par contre, le texte en français de cette berceuse arménienne me parle beaucoup. Le souvenir d'une maman c'est parlant à n'importe quel âge, quand on vieillit bien sûr mais même à 12 ans quand on est par exemple en colonie de vacances, c'est universel, le souvenir de moments de confiance et de tendresse. C'était aussi l'occasion d'entendre le violoncelle qui joue la mélodie.

Un petit mot de conclusion ?

Je suis ravie d'avoir fait ce CD. Je suis même persuadée que c'est moi qui devais le faire, c'était tellement fait pour moi. C'est un vrai cadeau d'avoir eu cette occasion.

Commentaires

Critique dans Paris Mômes N° 80 supplément Libération p. 42 Le Guide "tout-petits" avec photo cover signé Gilles Avisse.

Écrit par : Martine Andersen | samedi, 09 juin 2012

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